jeudi 8 décembre 2011

Un festival de Honfleur 2011 très composite

Pour la 19ème édition du festival, sa présidente Françoise ­Schnerb a récupéré l’un des films russes couronnés dans un grand festival international : Elena ­
d’Andreï Zviaguintsev, prix spécial du jury à Cannes, qui sort prochainement dans les ­salles françaises.

Outre cette grande réalisation, le festival permet de découvrir des auteurs encore méconnus en Europe, à travers une sélection très composite de films récents. Huit d’entre eux seront en compétition dans la sélection principale. On retiendra notamment Gromozeka, où Vladimir Kott met en scène trois amis qui, la quarantaine atteinte, perdent prise sur leur entourage immédiat et leur destin dans ce film sombre et émouvant. On frôle le misérabilisme et la surenchère dramatique, mais la veine réaliste reste la plus forte et sauve l’œuvre.

Bedouin, d’Igor Volochine, suit une mère cherchant par les moyens les plus désespérés à sauver sa fille atteinte de leucémie. « Les jeunes aiment les vam­pires. C’est un thème immortel, mais surtout très actuel », commente le réalisateur.

Moins courageuse, Avdotia Smirnova filme dans Deux jours une comédie politiquement correcte où un haut fonctionnaire au cœur sensible (joué par Fiodor Bondartchouk) est aux prises avec un méchant gouverneur régional caricatural, inculte et pressé de s’enrichir. Une fable destinée à rassurer le peuple sur le fait qu’il est dirigé par un bon tsar (Bondartchouk est encarté chez Russie Unie, le parti de Poutine), lequel va bientôt réaliser qu’il est entouré d’ignobles boyards.

Autre film féminin, Portrait au crépuscule , d’Angelina Nikonova, lui aussi sera diffusé dans les salles françaises prochainement. Un viol suivit d'une descente aux enfers envoie valdinguer les repères de Marina, ­épouse ennuyée. Plongée dans état dépressif, elle bascule brutalement dans une autre relation dangereuse. Un sujet déjà très exploré, mais décliné avec talent dans les lignes moralement mouvantes de la Russie contemporaine.

Retour en «A» (c’est-à-dire dans ce pays maudit qu’est l’Afghanistan). C’est le vieux syndrome de la guerre ratée porté à l’écran comme les Américains l’ont fait avec le Vietnam. Un film d’aventure et de guerre selon la formule consacrée : un peu superficiel mais de bonne facture... et qui n’encombrera pas la mémoire.

Après les femmes et la guerre, il ne manquait que l’argent (Bablo, de Konstantin Bouslov - voir plus bas) pour compléter le tableau. Bouslov revisite le thème de la mallette d’un million de dollars disparue et convoitée par plusieurs gangs de truands et de flics ripoux. Bien ficelé, ce film donne cependant une image puissamment négative de la Russie actuelle, car on n’y trouve pas un seul personnage positif. Sa noirceur mo­rale extrême fait écho à celle de Mon bonheur de Sergueï Loznitsa, déjà présenté au festival de Honfleur.

Елена (Elena) Descente réaliste ****

Heureusement qu'il existe, ce Zvyagintsev, pour remonter le niveau du cinéma russe cette saison. Elena marque un changement de ton dans l’œuvre du cinéaste. On revient en Russie, la vraie Russie d'aujourd'hui, celle, urbaine, de Moscou, avec une problématique sociale et une peinture crue des rapports humains. Ce n'est pas un beau tableau.

Elena la cinquantaine, épouse de Vladimir, homme fortuné et en mauvaise santé, et subvient aux besoin de la famille de son fils Sergueï, qu'elle a eu d'un précédent mariage. Vladimir s'irrite d'entretenir à travers Elena Sergueï, dépeint comme un homme veule et fainéant. Pivot du film, Elena défend les intérêts de son descendant avec tant de pugnacité qu'elle va jusqu'à commettre l'irréparable.

Terminé les long travelings, les paysages. Le rythme reste lent, la photographie extrêmement soigné et dans les tons sombres des films précédents. On reste presque tout le temps enfermé dans un appartement au design moderne et impersonnel, évoquant une suite de Radisson. Un appartement très peu russe, très peu "nouveau russe". Mais la Russie apparait dans toute sa décadence à travers la désolante situation de Sergueï et son voyou de fils. Les hommes n'ont rien de réjouissant, ils exploitent les femmes en tout. Elena occupe le rôle de servante et non d'épouse. Femme russe archétypale, elle accepte sans moufter, encaisse, mais manifeste une volonté de fer. Elle mène la barque dans cette pièce de théâtre admirablement "cinématisée" par le cadrage léché et les prises de vue aux angles inhabituels. Zvyagintsev montre avec Elena qu'il peut travailler dans des registres divers tout en gardant un style parfaitement personnel.

samedi 3 décembre 2011

Высоцкий. Спасибо, что живой : salir le dissident Vissotsky *


Mais quelle étrange initiative que de déterrer Vissotsky pour en faire cet antipathique héroïnomane... Pourquoi flétrir ainsi l'icône de la dissidence soviétique, dépeint dans le film comme un drogué irresponsable trahissant ses amis, conduisant à tombeau ouvert dans sa Mercedes rutilante, tel un gamin pourri gâté ? Avec une sortie du film en pleine campagne électorale, alors que Poutine s'affiche partout comme le chef de file de la lutte antidrogue ? Et pourquoi avoir fait des officiers du KGB les vrais héros du film ?
Premier problème : c'est un film profondément ennuyeux, à cause d'un scénario (écrit par le propre fils de Vissotsky) construit sur un épisode peu glorieux de la vie du grand barde : au mépris de son état de santé critique, il s'envole pour une tournée dans la république Ouzbek. Sur place, son entourage ne trouve pas d'héroïne et il s'enfonce dans la crise de manque. Et ça tire sur la pellicule pour faire durer le plaisir : clips de tourisme sur les paysages ouzbeks, clips sur les beaux avions soviétiques décollants, sur les beaux appartements de la nomenklatura soviétique, sur la rutilante Mercedes du barde... Sur les belles jambes d'Oksana Akinychina (habillée et fardée comme une pouffe moscovite de 2011, portant des lunettes à la Jennifer Lopez - totalement incongru !)... c'est pour faire modasse, pour se rapprocher du public jeune, pour vendre les disques de Vissotsky? Plus personne n'achète de disques, il n'y a plus rien à vendre. Et bientôt plus de films non plus. Les Russes boudent leur cinéma, et ce n'est pas ce genre de film qui va faire remonter la pente aux productions domestiques. On n'entend pratiquement pas la musique du barde, on passe complètement à côté de son talent, de ce qui fait qu'on l'aime.
Pour pallier à l'inanité des dialogues, à un scénario inintéressant, le réalisateur Bouslov - autrefois plus inspiré - recourt à une musique hollywoodienne stridente, omniprésente et destinée à exciter les nerfs du spectateur.

Pour attirer le public dans les salles, les producteurs ont imaginé une énigme : qui a joué le rôle de Vissotsky ? Car c'est bien le visage de Vissotsky qu'on voit à l'écran, et non celui de l'acteur, dont le nom ne figure pas au générique. Ce dernier porte un masque remarquablement conçu. Mais comportant un gros inconvénient : Le visage de "Vissotsky" est totalement inexpressif. Or, on connait bien le vrai visage de Vissotsky, acteur - très expressif -  de nombreux chefs-d’œuvre du cinéma soviétique. D'accord, son personnage est fatigué, en manque, mais inexpressivité dérange de plus en plus à mesure qu'on avance dans le film. On perçoit distinctement la lourdeur du latex et non un jeu d'acteur. Alors on s'en fout de l'identité d'un acteur incapable de jouer. Tout son corps est raide, lent, guindé. Il n'est pas prisonnier de l'héroïne, mais du latex. Les acolytes de Vissotsky semblent contaminés par ce problème et leur jeu est soit caricatural (le bouffon Panine), soit guindé (Urgant), soit franchement mauvais (tous les autres). Seuls les deux officiers du KGB (Smolyakov et Iline) se distinguent par un vrai jeu d'acteur. Mais il faut souligner qu'on leur a écrit des rôles plus fouillés, moins prévisibles et non manichéens. Le vrai héros du film, c'est ce colonel du KGB joué par Smolyakov, qui finit par sauver tout le monde dans un grand geste d'abnégation. L'abnégation, c'est aussi un trait de cet autre colonel du KGB, devenu leader national russe, et qui a décidé de sacrifier tout le reste de son existence au service du peuple. Clin d'oeil zélé au mythe le plus imbécile de l'histoire contemporaine russe, selon lequel le KGB était la seule institution solide et moralement propre du pays. D'où le désagréable parfum politique du film : Vissotsky représente une dissidence composée d'égoïstes irresponsables prêts à sacrifier la vie et la liberté de leurs proches pour une dose de blanche. Est-ce le message des auteurs à un public actuel agité par la dissidence anti-Poutine ?
Pourquoi pas... le film est produit, porté à bout de bras par Pervy Kanal, la chaine télé n°1 du pays et appartenant au Kremlin.

dimanche 16 octobre 2011

Бабло (l'oseille) comédie/polar plongeon négativiste ***

Tout au long du film, j'ai senti un profond dégoût pour la Russie et l'Ukraine, où se déroule l'action du film. Pourquoi ? Pas un seul personnage sympathique dans le film. Ce ne sont que bandits cruels, généraux vénaux, policiers corrompus, prostituées, hommes de main débiles, et tous, tous sans exception se trahissent les uns les autres pour du fric. Pas une seule qualité humaine n'apparaît, hormis peut-être un courage physique qui n'est engagé que pour ramasser une mallette contenant un million de dollars. Ce million de dollars, vous l'avez déjà compris, est le personnage principal du film, tourné sur un scénario moyennement ficelé (ça devient confus à la fin du premier tiers) et surtout archi rebattu, puisque tout le monde court après cette mallette.

Bouslov fait basculer le polar russe dans le négativisme absolu. C'est la première fois qu'un film me donne le désir dès les premières minutes, de me casser de cette région du monde où j'ai passé 10 ans. "Tous pourris !" dit le film, en somme. Comment peut on penser à faire des enfants dans un contexte pareil, où la vie humaine n'a pas la moindre importance et où la seule motivation des personnages est l'argent criminellement acquis ? Je suis certain que cela ne vient pas d'un désamour personnel pour la Russie (je n'ai aucunement envie de rentrer en France), mais plutôt d'une volonté délibérée d'appuyer sur un problème moral qui a atteint des proportions pharaoniques. De ce point de vue-là, Bouslov prend un gros risque personnel, car je ne suis pas le seul à percevoir une antipublicité pour la Russie. Il y a bien sûr les simples d'esprit qui passent un bon moment à rigoler, puis rêvent d'imiter ces nouvelles idôles de la décrépitude, mais d'autres, des décideurs et Tartuffes en tout genre, vont s'offusquer qu'on montre de leur patrie un visage aussi grêlé. Même le téméraire provocateur Balabanov veille à trouver dans (certains de) ses héros des aspects positifs, de la compassion, de l'amour, du désintéressement, de l'amitié... dans le noir absolu, il y a toujours un ou deux personnages qui se distinguent, soit des victimes innocentes, soit des hommes blessés cherchant la rédemption. Rien de tel dans ce film, et n'attendez pas de fin positive.

Ce négativisme absolu rappelle Ma joie de Sergeï Lozan, sorti l'année dernière. Ce n'est déjà plus un simple signe du temps, c'est une tendance du cinéma russe et un signal à la société. Le cinéma renvoie une image terrifiante de la Russie d'aujourd'hui.

Chose surprenante, Bouslov verse très peu de sang dans ce film criminel. C'est un aspect très original quand on observe la tendance épouvantablement graphique que suit l'industrie du cinéma. Ici, on ne verra que du sang maculé sur les murs après l'unique fusillade (située au 3ème étage d'un hôtel, mais filmée depuis la rue : on ne voit rien d'autre que des ombres, tout est au niveau de l'audition - une scène très réussie !).

Le côté comédie déçoit, car on ne rigole pas souvent. Le seul gag très réussit à mon avis confronte deux flics sidérés par la corruption de l'autre. Le reste du temps, quelques situations comiques apparaissent, mais on reste surtout dans le registre de la surenchère de grossièretés. Il faut une très bonne culture de l'argot criminel russe, car moi qui comprends bien les Balabanov par exemple, j'ai loupé un paquet d'expressions.  

Quelques aspects positifs : c'est un premier film. Le réalisateur Kostia Bouslov, frère cadet de Piotr Bouslov, a réussit une réalisation haletante. Le rythme est parfait pour l'action. On ne s'ennuie pas une seconde. Les acteurs sont utilisés à bon escient, c'est juste et pas surjoué, pas de clichés inutiles, et les acteurs ne sont pas des stars fatiguées, mais des seconds couteaux de séries télévisées. Bouslov junior a donc fait des économies sans pour autant nuire à la qualité du jeu. Plusieurs personnages se font remarquer comme d'excellent "rôles de caractères", avec des voix et charismes étonnants. Mais bon sang qu'ils sont tous répugnants...

mercredi 12 octobre 2011

5 fiancées / Пять невест (2011) néo soviéticon *

La demoiselle m'accompagnant a "trouvé ça chouette", ça lui rappelle "les bons vieux films soviétiques où les gens sont plein de bons sentiments" "des films que je peux revoir cinq fois". Moi, je ne peux pas. Une fois, c'est déjà suffisamment pénible. Voyez-vous ça ; 5 soldats aviateurs et camarades en 1945, stationnés en Allemagne et non démobilisés par Staline. Ils crèvent d'envie de baiser (le film voile hypocritement ce désir par une volonté de se marier), mais pas une femme à l'horizon (les Allemandes ont-elle été vaporisées ?). Alors ils décident de se marier par contumace et confient leur passeport à l'unique d'entre eux bénéficiant d'une permission. Il va devoir jouer cinq fois le fiancé, enfiler cinq bagues à cinq fiancées fidèles et débordantes d'amour, le tout en deux jours, sans niquer personne, sans voir un bout de téton.

Le plat principal (l'humour) est servi réchauffé. Ce n'est qu'une succession de gags idiots, prévisibles. Du mauvais cinéma populaire pour idiots mal sevrés du soviétisme (pardon Katia, mais tu n'as que 20 ans). Les rôles sont caricaturaux, absolument pas crédibles. Point d'invention, de fantaisie, de poésie. Point de désir sexuel.Tout ce qu'ils veulent, hommes ou femmes, c'est un mariage ! C'est l'idée fixe des femmes, elles sont dans ce film rigoureusement incapables de penser à autre chose. Seule parenthèse de réalité dans se film, l'intervention d'une punaise du NKVD, qui enquiquine un peu le héros, mais pas pas trop. Finalement, sous Staline, c'était sympa. Je manque d'humour, pensez vous. Mais comment peut on se gausser à se point de l'histoire, et du problème des centaines de milliers de femmes allemandes violées par l'armée rouge ? Or, on sait que dans la Russie d'aujourd'hui, évoquer ce thème tabou, c'est se faire automatiquement taxer de "néo-nazi" ou au mieux de révisionniste. En gros, ce film est là pour dire qu'il n'y avait pas d'Allemandes en Allemagne en 1945.

Les symptômes d'amnésie sont nombreux. D'après ce film, la guerre n'a rigoureusement rien détruit (on est en mai 1945... en principe, la fumée voile encore le soleil) mais tout le monde il est heureux et les grasses mottes de foin cachent l'horizon. Pas un éclopé, pas un blessé, personne n'est ravagé par le chagrin, pas un ennemi, pas un collabo, pas un rescapé des camps... Pas un seul plan sur les ravages des boches en terre slave. RIEN! l'action se passe à Smolensk, où la population soviétique a horriblement morflé. Le genre comédie légère n'oblige pas cacher frénétiquement toutes les émotions négatives. Sinon, on choisit un autre cadre temporel.

La déconnexion totale de la réalité a quelque chose d'insultant pour la mémoire. Nous parlons d'une des guerres les plus massives et les plus atroces de l'histoire de l'humanité, et pas une seule stigmate sur la pellicule. Cette comédie révisionniste avilit le cinéma russe, car elle sort dans un contexte de mépris global de la réalité historique, de déni des horreurs et injustices de Staline (ceux qui ont vu l'Allemagne de trop près, héros ou pas, hop, direction Goulag), et de néo stalinisme rampant... Alors ce film, qui ne m'a pas fait rire une seule fois, ce film pue.

dimanche 20 février 2011

Овсянки - Le dernier voyage de Tania (2010) sombre mystification ****


Deux hommes, un mari et un amant rêvé, enterrent Tania selon un rite ancestral imaginaire. On ignore les raisons de la mort de Tania, mais on apprend les détails de la passion du mari pour la rondelette et féminine Tania. Tous trois vivaient dans la ville industrielle de Neïa, Nord de la Russie. Le rite les fait quitter cette ville à tout jamais.
Ce sombre road movie (très à la mode en ce moment de tourner des road movies... certainement depuis que tous les russes peuvent s'acheter une bagnole) plonge le spectateur dans les frigides paysages du Nord, forêts, lacs, rivières, églises pointant leurs clochers abîmés dans la brume. Et surtout dans les cerveaux à moitié gelés de deux hommes russes, l'un retourné par la mort de son épouse, l'autre qui revit la mort de son père. Les émotions restent enfouies, leurs actes modérément rationnels.
C'est évidemment un très beau film, méditatif, sur le sens des traditions et l'attachement qu'on a pour elles, fussent-elles totalement archaïques ou imaginaires. Film sur le deuil et le retour à la vie, sur le désir d'immortalité, et sur le fossé abyssal entre les méandres de l'âme russe et la terrible banalité du monde matériel (intéressant voyage dans un caddie d'Auchan).
On reste quand même dans la catégorie des films d'auteur modestes. Pas de volonté de mettre en cause l'ordre, pas de grandes ambitions, pas de claques assenées à droite à gauche. Surtout un magnifique travail d'opérateur, qui a été remarqué et récompensé à Venise.