samedi 30 mars 2013

Pour Marx (За Маркса...) Retour du cinéma politique ***

C'est un thème traditionnel du cinéma politique : une usine, des licenciements, un syndicat indépendant, un patron ignoble, une répression sanglante, un pouvoir complice. Un traitement qu'on n'avait pas vu depuis longtemps sur les écrans russes.

Et ce titre "Pour Marx", promesse de tirades idéologiques. Ce n'est fort heureusement pas le cas. De Marx, il reste la lutte des classes et cette interrogation centrale, verbalisée au milieu du film, par un des personnage principaux : "Le patron et nous, faisons-nous partie du même peuple ?". La question du syndicaliste reste en suspend, mais le film répond clairement " Non !"

Et pourtant... le jeune patron irascible et meurtrier est le fils du gouverneur de la région, un homme fatigué de ses propres péchés, et qui veut renouer avec son premier fils, qu'il a abandonné il y a bien longtemps. Ce fils secret se trouve être le cerveau de la rébellion syndicale. Et donc demi-frère du patron. Et sa victime. D'où cette ambiguïté : unité de famille, mais pas de peuple.



Nous assistons à la démolition physique d'une cellule syndicale par le patron de l'entreprise métallurgique. A coups de revolvers, de couteau, écrasée par un camion. Des éliminations physiques dans la plus parfaite impunité. Tout le monde sait qui est le coupable, mais la réaction de la famille de l'une des victimes est d'agresser un des syndicalistes restant (en le jetant vivant dans une fosse tombale fraîchement creusée). Il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore.

Le film appartient à la catégorie des désespérants. Il m'a fait penser à "Ice" de Robert Kramer (1970), bien qu'il soit dépourvu d'éléments d'avant-garde. Mais l'atmosphère est identique, à cause de la violence implacable de l'oppresseur, de l'impasse et de l'isolement complet où se trouvent rapidement coincés les protagonistes.

La réalisatrice Svetlana Baskova prend bien soin de ne pas faire remonter l'accusation au-delà de la "famille" du gouverneur. Pas d'allusion à Poutine ou au Kremlin. Il s'agit d'une situation archétypale de la Russie de ces 20 dernières années, avec un patron diabolisé et des ouvriers désorganisés par des syndicats collabos. Une seule accusation dépasse le cadre région/usine pour atteindre un plan historique. Le gouverneur est qualifié de traître pour n'avoir pas soutenu le "Putsch de Moscou" des généraux du KGB en août 1991. Signe - mais je peux me tromper - que la réalisatrice regrette profondément la fin de l'URSS. Le titre un peu gratuit du film sonne comme un cri strident d'engagement politique par dessus un film plus discret.

Pour Marx possède d'autres éléments discutables, comme la trop longue tirade d'un des syndicaliste sur le cinéma français de la "Nouvelle Vague". Baskova s'acharne à vouloir nous dépeindre les syndicalistes d'usine comme le sel de la terre, comme la véritable intelligentsia russe, sans réaliser que cette insistance finit par sombrer dans le ridicule.

Et malheureusement, la fin - que je m'abstiens de dévoiler - s'affale dans le grotesque.

Visiblement tourné avec trois bouts de ficelle, Pour Marx est promis à une carrière en salle des plus modestes. Il n'était programmé que dans trois salles moscovites, et dans les trois cas - c'est un comble - sous forme de DVD/projecteur de bureau. Les producteurs n'ont même pas trouvé assez d'argent pour sortir des bobines ! Et pourtant, le film a été projeté dans une dizaine de festivals, dont la Berlinale 2013. Le retour du cinéma politique en Russie se fait donc dans la plus grande discrétion.

Fiche complète du film sur Kinoglaz

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