vendredi 2 novembre 2012

Infidélité (Измена 2012) Un soupire de Bergman *****

Le film devait au départ s'appeler "le châtiment". Mais finalement, l'auteur est revenu à l'essentiel. Bouleversé par un cocufiage, qui l'a placé devant un sombre aspect de l'être humain : son altérité ontologique. Vous aimez et vivez avec quelqu'un pendant 10 ans, et un beau jour, vous découvrez qu'il vous trompe et qu'il n'a pas la moindre intention de le reconnaître, de l'avouer, de s'expliquer ou de s'excuser. Le réalisateur Serebrennikov ne cache pas qu'il a trouvé l'inspiration de ce film (qu'il a co-écrit avec Natalia Nazarova) dans sa vie personnelle.
Tout l'intérêt vient de là. Vous êtes tout d'abord trompé, puis vous trompez vous-même. C'est comme une maladie contagieuse. Certains trompent les autres depuis l'enfance, d'autres y cèdent après en avoir été victime. Le film a perdu son nom de "Châtiment" parce qu'il est devenu évident que la tromperie s'est généralisée à tous les protagonistes. Châtier devient absurde. Pas de morale ici, on observe, on cherche à comprendre et on se résigne. Serebrennikov laisse entendre que le cocufiage auquel il a été confronté dans la vraie vie est lié à l'Internet, et donc aux réseaux de rencontre. Il n'en est pas du tout question dans le film, qui ne se perd pas en "comment" et "pourquoi". C'est la conséquence de la tromperie qui l'intéresse.

L'histoire
Un homme (Dejan Lilic) se rend chez le cardiologue (Franziska Petri) pour une consultation de routine. De manière totalement inattendue et avec une totale froideur, elle lui révèle que son mari à elle la trompe avec son épouse à lui. Secoué, il sort de la clinique et échappe de peu à un terrible accident de la route (un 4x4 percute un abribus et tue 4 piétons. Un quadrilatère amoureux se forme, puis un cube...

Le film repose sur les épaules de Franziska Petri, figure bergmanienne : mystérieuse, puissante mais ravagée de l'intérieur. Son long visage et ses yeux en amande, sa beauté diaphane couplée avec une féminité mûre subjuguent et la caméra et le spectateur. Ses traits ne sont pas ordinaires (ma compagne me chuchotait au début du film "mais qu'elle est laide", avant d'admettre à la moitié du film qu'elle avait finit par la trouver ravissante), ni son jeu bien éloigné des excès devenus la règle dans le cinéma russe. Les autres acteurs sont éclipsés, même si leur travail reste tout à fait honorable.

Pas moyen d'éviter la comparaison avec Elena, de Zvyagintsev. La photographie y ressemble étonnamment, jusque dans le choix des décors. L'objectif était identique : ne pas faire le portrait d'une Russie d'aujourd'hui, mais aller à l'universel. Nous sommes de tout évidence dans un décours russe (architecture soviétique de l'hôtel, goût "nouveau russe" des intérieurs, flics"), mais l'accent n'est pas du tout mis sur la spécificité du pays. C'est la duplicité de l'âme humaine qu'on filme avec des longs plans filmés à l'épaule, en très très gros plan. Serebrennikov ne mégote pas quand il s'agit d'intimité. Un grand soin est apporté aux scènes de sexe, sans hypocrisie ni voyeurisme bêtasse. Il y a aussi un peu de Kubrick dans l'utilisation de la musique et les angles de prise de vue extrêmement soignés.

Le film tranche avec les précédentes oeuvres de Serebrennikov (théâtre comme cinéma). Plus un poil d'humour, guère de fantaisie. Même s'il cache mal ses influences, le nouveau cinéma de Serebrennikov indique une évolution maîtrisée et de formidables capacité à dévoiler l'âme humaine. Du grand cinéma.




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