samedi 10 mars 2018

Dovlatov (Довлатов) Ironie stérilisée **

La rencontre entre le cinéma cérébral, énigmatique, limite expérimental d'Alexey Guerman-Jr, et la prose caustique, ethylique et malicieuse de Dovlatov ne coulait pas de source. Les précédents films d'Alexey Guerman-Jr, qui ont toujours été bien reçu dans ce blog, n'ont jamais respiré l'humour ni la légèreté. Celui-ci ne fait pas exception.



C'est fort regrettable, parce qu'un biopic de l'écrivain-culte de l'époque brejnevienne (devenu culte bien plus tard) aurait du être grinçant et caustique. À part le gag où Dovlatov, se faisant passer pour un tchékiste, terrorise un bouquiniste tentant de lui vendre "Lolita", on n'a guère l'occasion d'actionner les zygomates. C'est pesant, sérieux, mélodramatique et franchement prétentieux. Exactement le contraire de Dovlatov, en tous cas celui qu'on connaît à travers ses romans. La prose de Dovlatov est réaliste, plastique, vive, accessible, totalement dépourvue d'ambitions ésotériques. Le décalage entre l'oeuvre de Dovlatov et l'atmosphère du film dérange pendant toute la projection. Bien que la plupart des dialogues viennent directement de la prose du romancier.

L'erreur de casting a commencé avec Alexey Guerman Jr. Son univers est trop éloigné. Il confie lui-même avoir découvert Dovlatov sur le tard. Peut-être que les deux hommes sont simplement incompatibles, mais pourquoi alors s'être jeté dans l'aventure ? Cela me rappelle le plus abominable biopic de la décennie, qui a massacré Vyssotsky. On n'en est pas là. L'univers d'Alexey Guerman Jr domine tout le long : les lumières tamisées, la brume, les dialogues imbitables s'enchevêtrant, les cadrages aproximatifs, les anachronismes (le jazz, les accoutrements, les mimiques contemporaines des actrices). Bref, on ne sent ni l'atmophère soviétique, ni les sarcasmes de Dovlatov.

Empêtré dans un univers qui lui est manifestement étranger, Alexey Guerman Jr tente de donner une facture "traditionnelle" à son film (il ne peut pas rester dans l'étrangeté avec un personnage aussi terre à terre que Dovlatov) par des moyens grossiers qui ne lui réussissent pas. Pour palier au vide dramatique des cinq journées de la vie de Dovlatov, il a recours à des cadavres d'enfants, au sang d'un poète et au crâne fracassé d'un peintre. Chacun de ces drames tombe comme un cheveux sur la soupe. Pour donner une épaisseur romantique au personnage de Dovlatov, il en fait un bourreau des coeurs (ce que l'écrivain était apparemment), mais comme il ne parvient pas à ficeler la séduction, toutes les donzelles sont des ex déjà séduites. Un peu facile. La seule dimension intéressant le réalisateur, ce sont les querelles littéraires du microcosme de Saint-Pétersbourg. Brodsky son ami, et la masse grise des envieux, des traîtres, des zélés et des connards aux commandes. Tout cela est raconté de manière linéaire et prévisible.

Il aurait fallu un Woody Allen pour raconter Dovlatov. Mais l'écrivain soviétique n'a toujours pas percé en Occident, et Alexey Guerman Jr ne lui a pas rendu service. L'écrivain chéri de la génération des 30/50 ans russes aura-t-il une seconde chance ? La plupart de ses oeuvres paraissent compatibles avec une adaptation cinématographique. Il faut attendre qu'un réalisateur russe doué pour la comédie caustique émerge. Nous avons perdu Balabanov et Mouratova (sans doute la plus proche de Dovlatov) a pris sa retraite il y a plusieurs années. Les grands talents russes actuels ne sont pas versés dans la comédie, malheureusement. Et le temps presse@¥‰


jeudi 4 janvier 2018

Une femme douce (Кроткая) ... dans un monde de brutes ****

La colère de Sergueï Loznitsa ne connaît aucun répit. Rossia Matouchka en prend de nouveau pour son grade.

Krotkaïa (une femme douce, très librement adapté de la nouvelle de Dostoïevsky) ne se résigne pas à son triste sort. Lorsque le colis qu'elle a envoyé à son mari emprisonné lui revient sans explication, elle décide d'entreprendre un long voyage pour porter ce colis jusqu'à la prison. Voyage non-initiatique, semé d'embûches kafkaïennes et de personnages cauchemardesques. La Russie provinciale contemporaine y est une vallée de larmes. Vulgarité, bêtise, méchanceté, ignorance.

Loznitsa, comme Zviaguintsev, décrit l'effondrement moral de la Russie. Avec moins de subtilité, cependant. Il force le trait par rapport à "Ma Joie" (2010), qui traitait du même sujet sous la forme d'un road-movie. Dans Krotkaïa, Loznitsa fait le chemin inverse : de la province profonde vers une ville moyenne, où "la prison est notre tout, c'est elle qui nous nourrit". Il démontre sans peine que les murs de la prison s'étendent bien au-delà des murs physiques. La "zone" est dans les têtes, elle est constitutive de la pensée. Si bien que l'ultime institution supposée apporter de l'aide à Krotkaïa - la "défenderesse des droits humains", sous ses aspects de juste persécutée, s'avère factice. Le mal est si profondément enraciné qu'il n'y a pas d'autre salut qu'en soi-même. À la différence de Zviaguintsev dans "Faute d'amour", Loznitsa tue l'espoir. Il est à deux doigts d'essentialiser la Russie et les Russes, de les assimiler à l'enfer. Seule Krotkaïa porte en elle une force positive, laquelle n'est pas explicitée : amour, devoir, solidarité, persévérance ?

Naturellement, le film n'a pas reçu un kopeck de Russie et sa sortie en salle fut confidentielle ($6800 de recettes selon Kinopoisk).

Fiche technique du film