lundi 15 octobre 2012

Dau, le film le plus attendu des années 10

Après le phénoménalement bizarre "4", Ilia Khrjanovsky, jeune réalisateur d'avant-garde, s'est engagé dans un long projet, une biographie du scientifique soviétique méconnu Lev Landau. Le tournage ultra secret s'est achevé au bout de trois ans à Kharkov (Ukraine) en 2011. Avec un budget non moins phénoménal pour un film d'art et d'essai russe ($10 millions). Depuis, silence complet sur la production. J'ai parlé avec l'acteur principal, le mégalomane Teodor Сurrentzis (un chef d'orchestre exceptionnel) et été à Perm, et il m'a avoué ne rien savoir de l'état d'avancement du projet ni de la date de sa sortie.
Ce qu'on sait, c'est que les milliers d'acteurs, figurants et techniciens, ont vécu pendant trois ans dans une espèce de reconstitution de l'époque stalinienne, avec cartes de rationnement, NKVD et tout le tintoin. Une plongée dans la terreur, le culte de la personnalité et la mégalomanie. Ilia Khrjanovsky m'a fait une énorme impression en 2004 avec son premier film. Il a su filmer l'univers fantasmagorique de Sorokine, déployant une imagination (je me répète) phénoménale.
Nous savons maintenant que "Dau" est en post-production, mais la date de sortie est toujours tenue secrète. Voici quelques photos pour saliver.

dimanche 14 octobre 2012

Alien (Чужая, 2010) Voyage au bout de nuit ****

En raison de la pénible saturation du thème de la seconde guerre mondiale dans le cinéma russe, je fais une petite pause pour parler d'un film sorti en 2010 dans une relative indifférence, non méritée. Alien contient également un forme d'exutoire du passé, mais celui-ci est plus proche : les chaotiques années 90.
Alien est une prostituée ukrainienne travaillant à Prague, dont le tueur de frère, arrêté par la police ukrainienne, risque de baver et de faire tomber quelques huiles. Pour empêcher ça, un groupe de criminels est chargée de la ramener vivante à Kiev, comme garantie pour que le frère ferme sa gueule. Mais Alien s'avère être d'une férocité et d'une intelligence inégalée, plongeant les opérations dans le chaos et la violence.

Violence est un mot-clé de ce thriller mafieux très réussit. De bout en bout, la noirceur ne fait qu'épaissir, grâce à une réalisation magistrale, à des dialogues pertinents et à un choix d'acteurs très précis. Il y a du Peckinpah et du Kitano là-dedans. C'est à mon avis une des meilleures écranisations des années 90, grâce aussi à un choix judicieux des locations de tournage (formidable et gigantesque épave sur les bords de la Mer Noire). Le plus impressionnant, ce sont les gueules des mafieux. La distribution fait des merveilles et donne au film une crédibilité souvent absente des films d'action russe.

Il y a deux exceptions toutefois. "Choustry" (Tkachev) , le beau gosse blond, passe mal dans son rôle de voyou. Il est tout simplement physiquement trop joli. Alien (Romanytcheva) déçoit un peu aussi... trop belle, trop lisse. Elle se donne du mal, mais ressemble trop à Milla Jovovich et ne parvient pas à me convaincre. Il faudrait quelqu'un qui sache faire suinter le mal à travers sa peau.

Le réalisateur Anton Bormatov montre qu'il pourrait être exploité avec plus de bonheur (il tourne surtout des séries sans intérêt). Il n'a pas atteint le niveau de Balabanov avec son Jmourki, mais son film se place aux côtés de Boomer, et devrait figurer comme dernier parmi les films cultes sur les années 90.

samedi 13 octobre 2012

4 дня в мае (4 jours en mai, 2011) hérésie au culte patriotique ***

Ils sont dressés sur leurs ergots. Fulminent contre un film présentant l'armée rouge sous un angle peu honorable. Tous les bien-pensants que compte la Russie d'aujourd'hui, enrubannés dans leur Saint-Georges orange marron, versant des larmes de crocodile sur les vétérans de la Seconde Guerre Mondiale (qu'on appelle à Moscou, il est toujours utile de le rappeler, la "Grande Guerre Patriotique"), le doigt sur la couture du pantalon dès qu'un pompeux discours sur ce thème est prononcé par les vaillants chefs guerriers du Kremlin. Les derniers vétérans crèvent dans la misère, mais le culte soviétique, lui, est bien agressivement vivant.
Voilà pour le contexte expliquant la polémique insensée autour de ce modeste film germano-russe , où l'on suit une poignée de soldats de l'Armée Rouge chargés de (l'impossible) mission d'arrêter tout un détachement de la Wehrmacht, au lendemain de la capitulation nazie. Ces derniers n'ont ni envie de combattre, ni envie de se retrouver prisonniers de Staline, pour être envoyer en Sibérie. Ils tentent de rejoindre le Danemark pour y être fait prisonniers par les Américains. Là-dessus, un très antipathique général de l'Armée Rouge survient avec sa division blindée et entreprend de violer quelques filles allemandes dodues, ce qu'un supra vertueux colonel vétéran, commandant la poignée de soldat sus citée, l'empêche de faire. Par la force.
On sait que des centaines de milliers de viols d'allemandes ont été commis par les soldats de l'armée rouge après la capitulation. Que ces crimes ont été couverts par Staline lui-même ("il faut laisser nos soldats se divertir"), refusant d'instaurer dans l'armée triomphante un code de conduite digne vis-à-vis des populations civiles occupées. C'est vrai que les Rouges n'auraient de toute façon jamais pu égaler les Boches en terme d'ignominie, mais en termes moraux, ce crime de Staline a eu de nombreux échos plus tard... c'est un autre sujet.
Toujours est-il que le film a été attaqué de toutes parts non sur ses qualités cinématographiques (modestes, acceptables), mais sur l'absence de "preuve historiques des événements décrits". Un argument pour le moins paradoxal, s'agissant d'une oeuvre de fiction. En outre, il n'y a qu'un seul soldat de l'Armée rouge qui soit antipathique dans le film (un général, il est vrai), tandis que le groupe des huit soldats défendant les civils allemands fait preuve d'héroïsme désintéressé (ils savent que le NKVD leur réserve une place au Goulag). Le comportement très digne du détachement de la Wehrmacht ulcère beaucoup de monde, c'est vrai que c'est un choix controversé, car les faire apparaître uniquement sous un jour positif n'est pas habituel (ni même vraiment justifiable). Après tout, le film ne raconte pas la guerre, mais uniquement les 4 journées qui ont suivies la capitulation, et dans un périmètre précis (la côte balte).
Que dire de l'aspect artistique ? C'est bien joué, réalisé avec précision, de facture traditionnelle. Usage de la musique très bateau. Belle photographie. Jeu inégal des acteurs (Gouskov est bien sûr irréprochable), surtout du côté allemand. Un film qui somme toute ne se justifie qu'à cause d'un trou de mémoire côté russe.

Режиссер: Ахим фон Боррис
Продюсеры: Алексей Гуськов, Олег Степаненко
Сценарий: Ахим фон Боррис, Эдуард Резник
Оператор: Бернд Фишер
В ролях: Алексей Гуськов, Григорий Добрыгин, Андрей Мерзликин, Павел Вензел, Сергей Легостаев

jeudi 11 octobre 2012

Дирижёр (Chef d'Orchestre, 2012) Lounguine s'enfonce dans le pafos ***

Un célèbre chef d'orchestre russe se rend à Jérusalem pour diriger la Passion selon Matthieu (pas celle de Bach, malheureusement) et accessoirement pour y enterrer son fils, qui vient de s'y suicider. Parallèlement, un chanteur du concert drague une touriste blonde qui va périr dans un attentat-suicide.
C'est le 4ème film de suite du formidable Pavel Lounguine... à n'être pas formidable du tout. Il n'y a plus d'humour, plus d'absurde, plus de réalisme. Toutes ces qualités ont été remplacées par une pesante religiosité, tourments de l'âme dostoïevskiens, et une solennité qui était jusqu'à "parents pauvres" totalement absente de son oeuvre. Quel dommage ! Les acteurs sont toujours bien choisis et dirigés, mais on regarde ce film sans plaisir. Mais je garde espoir, je pense qu'il reviendra un jour à l'humour et au réalisme décapant du début de sa carrière.
Et cette musique, sur laquelle est construite le film, la musique exécutée lors du concert de Jérusalem. Cette musique déborde de partout, noie le film du début à la fin dans un gluant et pompeux pastiche de Jean-Sébastien Bach. Le Mitropolite Ilarion est l'auteur de cette nouvelle "passion selon Saint-Matthieu" et c'est vraiment triste. D'être à ce point réactionnaire, laborieux, dépourvu d'imagination. Ce ne sont que des marches harmoniques "à la...", du contrepoint besogneux. Nullissime ! Comment Lounguine a-t-il pu accepter d'utiliser une partition aussi pauvrement imitative du génie de Leipzig ? Il faut vraiment être totalement dépourvu de culture musicale pour ne pas voir l'imposture. Du Bach terne au possible, chanté en russe. Pauvre Russie qu'on force à acclamer des baudruches pareilles. Du faux baroque russe !!! Pas besoin d'être adepte de la secte boulézienne pour être écœuré par la moisissure avancée. C'est du Bach décomposé.

mardi 9 octobre 2012

Бездельники (2011) Jean foutres nostalgiques ***


Бездельники est la première fiction d'Andreï Zaïtsev, jeune réalisateur de documentaires remarqués. Il suit les amours de trois jeunes adultes dans le Moscou des années 2000, le tout bercé par la musique du groupe Kino. Le personnage principal porte une ressemblance très soulignée avec feu Viktor Robertovitch Tsoï, le cultissime chanteur de Kino, fauché en pleine gloire en 1990. Le décalage temporaire semble n'avoir aucune importance pour la jeunesse actuelle, dont la partie la plus romantique connaît par cœur toutes les chansons du groupe.
De là à construire un film sur les chansons de Tsoï, il y a un pas que n'hésitent pas à faire les requins trop heureux de capitaliser sur la création d'autrui. Zaïtsev n'est pas de ceux-là. Son approche sincère et romantique - encore une fois - chercher à recueillir la substantifique moelle d'une génération. Là où le bât blesse, c'est qu'il filme la tragédie amoureuse à la manière d'un documentaire. Il ne parvient pas à construire une tension dramatique On reste le plus souvent au niveau d'un cinéaste amateur filmant ses amis faisant la fête. Il fait trop la fête avec ses amis au détriment du matériau cinématographique. On est ravi que le collectif d'acteurs se soit bien éclaté pendant le tournage, mais une salle de ciné réclame un autre niveau que les pochades de YouTube. Pire, Zaïtsev aime précisément les chansons de Tsoï qui me paraissent être les plus fades (hormis "Maman - Anarchie ; Papa - ballon de rouge"). Il aurait mieux fait de s'inspirer du film éponyme ('Slackers', en anglais) tourné en 1991 par le brillantissime Linklater.

lundi 8 octobre 2012

Белый тигр 2012 (tigre blanc) duel mystico bourrin ***

Белый тигр représente la Russie cette année aux Oscars du meilleur film étranger. C'est un film de guerre inhabituel, à cause de son ambiance surnaturelle. Au lieu d'exalter le courage du soldat russe (la petite histoire qui raconte la grande), on a affaire à un duel entre le bien (un soldat ayant reçu des blessures auxquelles il n'aurait pas du survivre) et le mal absolu, sous la forme d'un "tank fantôme" qui effraie sa propre armée (nazie). C'est du délire intégral : l'armée rouge, dirigée par des bolchéviques prêts à n'importe quels efforts pour écrabouiller la vermine fasciste, part, maréchal Joukov compris, dans des discussions absurdes sur le "Dieu des Tanks", sur les "Tanks qui parlent", etc.
Et pourquoi pas, finalement ? Après tout, on a tellement été gavés de productions patridiotiques sur la 2ème guerre mondiale (10 par an en moyenne), qu'un peu de délire surnaturel relève le plat. Et puisque la religion prêchée par le Kremlin interdit qu'on discute quoi que ce soit sur le fond, le réalisateur Chakhnazarov change la forme, le genre, l'ambiance. Et peu importe si les faits historiques sont traficotés, les réalités de la guerre piétinées, car de toute façon, le réalisme est passé de mode. Peut-être que Chakhnazarov avait envie de faire un film très personnel, (d'auteur...) mais n'avait pas les moyens de le faire. Sous couverture de film patriotique (unique moyen d'attraper un financement confortable venant du budget fédéral), il a concocté un arrangement entre son sens du devoir, les obligations envers le pouvoir et son ambition artistique. On comprend à la fin (il chausse ses gros sabots) que le Tigre Blanc symbolise le fascisme immortel et invincible. Ou la guerre. Il donne même à Hitler et à Wagner le dernier mot du film, ce qui est plutôt osé ! Mais il est hautement improbable que le jury américain des Oscars (pour le meilleur film étranger) apprécie ce tour de passe-passe saugrenu.