samedi 21 avril 2012

Dans le brouillard, le cinéma russe ?

L’industrie du cinéma russe cherche une stratégie pour exporter plus efficacement ses films. Baisser les prix, améliorer la formation et stimuler les coproductions font partie des solutions proposées par Fond Kino

« Le cinéma russe souffre d’un double handicap : un manque de demande à l’étranger et une mauvaise commercialisation », constatait Evgueni Guindilis, producteur, lors d’une table ronde le 20 avril à Moscou. « Nous voulons que le cinéma russe soit présenté aux masses étrangères. Nous voulons voir nos stars sur les écrans européens et dans des productions américaine » ambitionne Elena Romanova, directrice du département international de Fond Kino (« Fonds pour le Cinéma »), un organisme d’Etat chargé de la promotion du cinéma russe.
On en est loin. La présence du cinéma russe sur les écrans étrangers reste minimale à ce jour. Hormis quelques rares films d’art et d’essai comme « Elena » ou « Faust », qui, auréolés de prix dans les grands festivals, font des carrières honorables en salles, le cinéma russe reste cloîtré à la maison. Le cinéma populaire est estampillé « inexportable » et la plupart des films d’art et d’essai dérivent sous le radar des distributeurs internationaux.
Pour remédier à cette situation, Fond Kino lance plusieurs initiatives. Un stand « Cinéma Russe » sera présent au Marché du cinéma se déroulant en parallèle au festival de Cannes (du 16 au 27 mai) avec pour objectif de vendre les dernières productions russes : « Doukhless », adaptation d’un best seller moscovite, « La Dame de Pique » (le dernier film de Pavel Lounguine), « Baba Yaga » (coproduction franco belgo russe, animation 3D réalisée par Dan Creteur avec un budget de 15 millions d’euros), ainsi que plusieurs films déjà sortis en Russie.
La présence du film « Dans le brouillard » de Sergueï Loznitsa dans la sélection principale de Cannes cette année peut potentiellement braquer les projecteurs sur le cinéma russe. « C’est un film plein de talent » juge Andreï Plakhov, plume phare du quotidien Kommersant et président de la fédération internationale des critiques de cinéma FIPRESCI. « Rien à voir avec son précédent film Mon Bonheur, qui avait fortement divisé le public. Dans le brouillard renvoie au cinéma classique soviétique et ne provoquera pas de scandale ». Romanova précise que Dans le brouillard a « déjà trouvé un distributeur international et Fond Kino est prêt à aider le film s’il trouve des difficultés à être distribué en Russie ».
Une autre initiative, baptisée « Red Square Screenings » consiste à inviter les principaux acteurs internationaux de l’industrie à assister à des projections privées du 15 au 20 octobre prochain dans l’enceinte du GUM, les célèbres galeries commerciales bordant la Place Rouge. « Le cinéma n’est pas un simple produit, c’est une part essentielle de notre culture » martèle Guindilis. « C’est pour cette raison que nous avons créé Red Square Screenings. Ce doit être l’ultime instrument pour la promotion de notre cinéma à l’étranger. Nous devons offrir un confort maximum aux invités. La concurrence est très dure, par conséquent nous devons mettre en valeur le cinéma russe d’une manière exceptionnelle, à deux pas de la Place Rouge ».
Les acteurs de l’industrie du cinéma reconnaissent qu’il reste beaucoup de travail à domicile avant d’atteindre les objectifs. « Il faut une stimulation fiscale pour les producteurs et les distributeurs », souligne Romanova, ajoutant que l’industrie russe est défavorisée par rapport à d’autres pays comme le Canada ou la France. Tous soulignent l’urgence d’améliorer la formation des professionnels. « La crise actuelle est provoquée par un déficit de personnel compétent », pointe Ilia Batchourine, directeur général de GlavKino, un studio de tournage. « Il faut multiplier les initiatives d’échange avec les studios étrangers, attirer les tournages de films étrangers chez nous. Nous n’avons pas uniquement besoin de financements, mais aussi de compétences ».
Andreï Plakhov attire l’attention sur le fait qu’il « n’existe pas de politique gouvernementale claire. Regardez ce que fait la France, par exemple avec les Journées du Cinéma Français à Paris. [L’agence de promotion] Unifrance fait un travail très efficace du point de vue commercial. Ils ne se limitent pas à promouvoir les grandes stars, mais aussi toute la jeune génération ». Or, la Russie n’a rien à envier à la France en terme de jeunes réalisateurs talentueux. Pourtant, on reste dubitatif en regardant la liste de films russes sélectionnés et aidés par Fond Kino ces dernières années. Hormis la réussite indubitable de Elena, les autres films sont d’un niveau médiocre, entre comédies adolescentes, films de guerre « patriotiques » brouillons, et reconstitutions historiques dispendieuses et ennuyeuses. Plakhov conclut « nous avons besoin de créer une mode du cinéma russe, comme l’on fait les Coréens. La dernière fois que le cinéma russe a été à la mode, c’était en 1990 avec Taxi Blues de Pavel Lounguine ». Encore faut-il que Fond Kino ne se trompe pas de sélection.