jeudi 21 février 2013

Guerman senior est parti avant la sortie de "Difficile d'être un Dieu"



Le réalisateur russe Alexei Guerman est décédé aujourd’hui à Saint Pétersbourg. Il avait 74 ans. C’était l’un des tous derniers monstres sacrés du cinéma soviétique. 
Il n’a tourné que sept films, dont un inachevé, mais chacun d’entre eux a marqué son époque. Son œuvre la plus célèbre, 20 jours sans guerre, prend complètement à contre-pied le cinéma soviétique glorifiant l’héroïsme des soldats de Staline. Cinéaste non-conformiste, Guerman a choisit de filmer dans 20 jours sans guerre, un écrivant revenant du front annoncer la mort d’un soldat à sa famille. Guerman bravait astucieusement la censure soviétique pour raconter les failles du socialisme, à travers des personnages envoûtants. Son influence sur le jeune cinéma russe est immense.
En occident, il est surtout connu pour son seul film post soviétique : Khroustaliov, ma voiture !, sorti en 1998. Depuis, le réalisateur travaillait avec acharnement sur une mystérieuse adaptation du roman de science fiction « difficile d’être un Dieu ». Ce film a bien été tourné, le montage est achevé, et les cinéphiles du monde entier attendent sa sortie depuis maintenant une décennie. Ce sera le testament artistique d’un réalisateur qui a consacré toute sa vie et ses dernières forces au cinéma.

dimanche 10 février 2013

Vivre (Жить) Sigarev sous le sable ****

Pure Чернуха (noirceur). Tendance qu'ont certains auteurs russes à illustrer les aspects les plus sombres de l'existence de leurs concitoyens. A l'instar de Ma Joie ou de Portrait au crépuscule, La vie est un cauchemar une plontée dans le malheur et le désespoir.

Dans un coin de Russie provinciale, trois individus fragiles sont confrontés, dans trois narrations parallèles, à la mort de leurs proches. Une jeune femme perd l'homme qu'elle vient d'épouser. Il est battu à mort sous ses yeux dans un train de banlieue. Une mère luttant contre alcoolisme perd définitivement ses deux filles jumelles (qui ont été confiées aux services sociaux) dans un accident de la route. Un petit garçon élevée par une mère qui le déteste, apprend que son père est mort. Chacun à sa manière refuse d'accepter la réalité, un peu comme dans "Sous le sable" de François Ozon. Mais nous nous trouvons en Russie, et le deuil n'est pas atténué par des aides psychologiques ou le confort matériel bourgeois. Le deuil est au contraire rendu plus pénible par la rudesse de l'entourage, le dénuement et la laideur de l'environnement.


Sigarev signe avec La vie son second long métrage après Toupie. La structure est plus complexe, la narration mieux maîtrisée, mais le style reste identique. Une profonde sympathie pour des personnages simples aux motivations évidentes, englués dans des situations atroces. Des plans longs, une musique atmosphérique (arpèges balayés à la guitare électrique), des dialogues peu fréquents mais soigneusement écrits (Sigarev est un dramaturge reconnu).

Observateur étranger, je suis confronté à un dilemme : soit je râle contre un cinéma russe obsédé par la noirceur, soit je loue le réalisme sans concession du réalisateur et passe moi-même pour un thuriféraire du "peu patriote" Sigarev. Bien sûr que la Russie dépeinte dans ce film n'est qu'une des réalités russes. Une partie du pays vit dans un univers totalement séparé, dans un confort matériel qui n'a rien à envier à l'Occident. Mais La vie apporte le signe rassurant que les artistes russes n'oublient pas leurs concitoyens restés le cul dans la boue (et ils sont très nombreux). Personne n'accuse les réalisateurs Jacques Audiart ("un Prophète") ou Harmony Korine ("Gummo") de couvrir de boue leur patrie, une accusation qui fuse vite ici dès qu'un auteur explore la Noirceur. Il se trouve que la Noirceur inspire les meilleures oeuvres du cinéma russe depuis vingt ans.

vendredi 8 février 2013

Shopping-Tour : Bouffez du Russe pour $60 000 **

On m'a récemment collé sur la liste des russophobes. Le titre profondément biaisé de ce post permet de justifier cette distinction.

Shopping-Tour (Шопинг-Тур) est une production russe "indépendante" avec un budget minuscule ($60 000). C'est aussi le second long métrage de Mikhaïl Brachinsky, auteur d'un mémorable navet "indépendant" (Gololed, 2002). Les prétentions esthétiques du régisseur ne sont modestes que par leurs moyens. L'ex critique de cinéma s'est rabattu sur le genre gore d'avant-garde.

Shopping-Tour possède un synopsis très simple : un gamin russe de 15 ans se voit offrir par sa mère un téléphone portable (la caméra subjective du film, du début à la fin) et un week-end en Finlande en autobus.
Manque de pot, les Finlandais s'avère être un peuple cannibale dont la tradition est de bouffer au moins un Russe par an.

Brachinsky a sans doute voulu exorciser la peur de ses "simples" compatriotes devant l'étranger, inculqué par des médias d'Etat chargés depuis une dizaine d'année d'imbiber les Russes d'une mentalité de forteresse assiégée. Un court métrage aurait fait l'affaire et permit de concentrer plus efficacement les maigres moyens. Le visionnage du trailer remplacera avantageusement celui du film entier.