dimanche 25 novembre 2012

Духless : libre comme une ordure **

ça commence comme une satire très faux cul de la rapacité capitalistique dans laquelle Moscou se vautre depuis 20 ans. Et ça se termine par notre héros, jeune banquier prometteur, broyé non seulement par l'impitoyable monde matérialiste, mais également au sens propre, dans un camion ordure. Malheureusement, le réalisateur ne trouve pas le courage d'achever son film sur cette trouvaille hilarante, qui aurait en partie racheté le médiocre scénario. Non, il fallait qu'il survive dans la décharge, recevant en plus le message romantique de sa copine révoltée et incarcérée (allusion péniblement lourde à Pussy Riot).
C'est un film hypocrite bien trop obsédé par les marques et le glamour pour avoir sincèrement envie de critiquer le consumérisme. On est assommé de pubs et de clichés dans ce film monté comme un clip, avec tous les emprunts possibles et imaginables aux films américains traitant du même sujet. Tous les poncifs du genre : grosses voitures filmées façon pub, accélérés, ralentis, montage ultra rapide. Écœurant au possible.

Духless est l'adaptation fidèle dans l'esprit d'un bestseller russe remontant à 2005. Le livre était déjà illisible et suintant de cette même critique faux cul des valeurs actuelles.

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Dans la brume (В тумане) mortelle impasse ****

Pour sa troisième fiction (une adaptation de Vassili Bykov), le réalisateur Serguei Loznitsa nous emmène dans le maquis biélorusse, en 1942. Les nazis font une farce macabre à Sushenya en le relâchant alors qu'ils ont pendu ses trois compères publiquement. Sushenya, qui a refusé de collaborer avec les nazis, sait qu'on le regarde désormais comme un pestiféré. Y compris sa femme. 2 maquisards viennent le chercher chez lui pendant la nuit pour le liquider. Il ne résiste pas. Sushenya, se résigne à une fin sordide.

Les films de Loznitsa nous emmènent au fond du désespoir. Ca commence toujours mal, et ça finit dans une apothéose catastrophique (voir Ma Joie). Mais à la différence de son précédent film baigné d'un nihilisme radical, Loznitsa nous montre ici qu'en dépit de la fatalité, certains individus persévèrent à agir selon des principes moraux. Même si cela n'a pas de sens. Autrement dit, l'absurdité du monde est indiscutable. Elle est un fait. Néanmoins il faut vivre et mourir de manière juste. Le peuple traverse la guerre en prenant des coups de tous les côtés. La plupart se comportent comme des merdes ou des lâches, tandis que d'autres continuent dans la probité, ce qui les précipite vers une mort d'autant plus rapide et certaine.

Le film suggère plus qu'il ne dit cette morale. Il n'y a que très peu de dialogues, pas de musique, pas d'artifices. Loznitsa ne cherche pas à construire des montées d'intensité. L'issue est claire dès le début. Les plans sont longs, les pensées se lisent sur les visages des interprètes. La tragédie se noue dans nos têtes. Le spectateur doit tirer les conclusions lui-même.

J'ai vu le film un samedi soir, deux jours après la sortie moscovite. La salle était au deux tiers vide, tandis que des daubes remplissaient les autres salles à raz bord. S'il fallait une preuve supplémentaire de l'absurdité du monde...

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lundi 19 novembre 2012

Jusqu'à ce que la nuit nous sépare (Пока ночь не разлучит) comédie de moeurs ***

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Boris Khlebnikov (Koktebel, Nage libre, Aide folle) signe ici un film peu passionnant, mais qui passe vite. Lorsque la grande baston finale clôt le film, on se demande encore quand est-ce qu'il va passer le prologue. Le film se base sur des bribes de discussions récoltées dans un grand restaurant moscovite. Vous allez donc, spectateurs, observer ce qui préoccupe la classe russe aisée. C'est d'autant plus paradoxal, car Khlebnikov est complètement fauché, n'a pas payé ses acteurs (leur promettant simplement un pourcentage au cas où le film gagne de l'argent). Ce qui n'est évidemment pas le cas. A sa décharge, ils ont tous des rôles minuscules et faciles (j'imagine que certains étaient prêts à payer pour pouvoir se friter légalement entre acteurs !).


Khlebnikov nous avait habitué à filmer plutôt les Russes fauchés, perdus, grillés ou qui se dirigent à grands pas vers une situation complètement désespérée. Est-ce par désespoir de ne plus trouver de financements pour ses films qu'il s'est résolu à filmer l'univers glamour des gens friqués ? La rage qui saisit les clients du restaurant illustre plutôt à la sienne, de cinéaste, dans un pays tombé entre les mains de personnes préoccupées uniquement par la réussite matérielle. Où on en est réduit à filmer à l'oeil des acteurs célèbres parce qu'il n'est pas possible de financer correctement le cinéma d'auteur.

mardi 13 novembre 2012

Festivals : Honfleur & la Semaine du Cinéma russe

Le mois de novembre offre comme chaque année deux rares occasions pour les cinéphiles français de voir les dernières sorties de films russes.

Regards de Russie
du 14 au 20 novembre 2012 au cinéma « l’Arlequin » (76 rue de Rennes - 75006 Paris, Métro St Sulpice). 
et dans la foulée :


Le XXe Festival du Cinéma Russe à Honfleur

du Mardi 20 au Dimanche 25 Novembre 2012

Les programmations des deux festivals comptent plusieurs films en commun, ce qui va ôter à quelques parisiens le désir de pousser jusqu'à Honfleur. 


Commençons par la semaine du cinéma russe à Paris. Le festival ouvre avec le dernier Lounguine "Le Chef d'orchestre", dont nous avons parlé (sans grand enthousiasme) dans ce blog le mois dernier.

L'actrice et réalisatrice Renata Litvinova est également en vedette avec "Le dernier conte de Rita", une fable très personnelle de l'actrice la plus maniérée et la plus surprenante du cinéma russe. Nous en reparlerons bientôt.
Autre film intéressant : "Les désoeuvrés" du prometteur Andreï Zaitsev. Il n'a pas su entrer de plain pied dans la fiction, sa réalisation reste trop empreinte de tics documentaires, mais ce film reste une des productions les plus intéressantes de l'année qui s'achève. 

Je n'ai pas vu les trois films sélectionnés à Paris mais pas à Honfleur (Le face à face, de Sergueï Komarov  ; le papillon d'acier de Renat Davletiarov et le Transfert d'Alexeï Mizguirev. J'ignore même s'ils sont déjà sortis à Moscou. La semaine parisienne présente aussi deux court-métrages et quelques films pour les enfants. Enfin, les amateur d'Alexandre Sokourov pourront voir ses deux oeuvres les plus intéressantes (mais aussi les plus ardues) de la décennie passée (Faust, 2011) et (Soleil, 2004).


Passons maintenant à Honfleur


Le festival fête cette année ses 20 ans et accordera pour l’occasion une place importante à l’histoire. Pour contrebalancer ce sujet si sérieux, une importante programmation de films d’animation est offerte au jeune public. Histoire de prouver que l’école russe d’animation conserve tout son pouvoir de fascination et sa force poétique, malgré une diffusion restreinte. Sept films font partie de la sélection officielle. Une seconde sélection présente quatre premiers films. 


La sélection “Un nouveau regard sur l’histoire” va révéler au public français la manière dont les cinéastes russes racontent le passé. Et c’est symptomatique : trois films sur la 2ème guerre mondiale, un film inspiré par la récente guerre avec la Géorgie en 2008. Et le “Concert”, une coproduction franco-roumaine avec l’acteur Alexeï Gouskov très remarquée par le public français lors de sa sortie en 2009. Ce dernier sera présent au festival avec son nouveau film “4 jours en mai”, qui fait partie de la sélection principal. Ce film - également centré sur un épisode douloureux de la seconde guerre mondiale - ne devrait pas à Honfleur susciter des débats aussi houleux qu’en Russie. Les autres oeuvres sélectionnées - à l’exception de “l’admiratrice”, inspirée de la vie d’Anton Tchekhov - se déroulent dans le monde contemporain. “Kokoko” d’Avdotia Smirnova raconte la collision entre une intellectuelle péterbourgeoise un peu coupée des réalitées et une provinciale dévergondée mais fauchée. Elles s’éprennent l’une de l’autre, mais les hommes sèment des embûches dans leur amitié improbable. Une comédie sans prétention où le talent de la pétillante Yana Trovanova saute aux yeux. “La Journée d’un prof” de Sergueï Mokritsky suit également l’évolution d’un modeste intellectuel, celui-là bien au contact de la réalité russe, et qui proteste contre la dégradation de la culture, avec des côté Don Quichotte. “Voilà ce qui m’arrive”, de Viktor Shamirov, parle sur un ton léger, ironique, d’une toute autre catégorie d’individus : les parvenus moscovites. Gocha Koutsenko, acteur très populaire, incarne un père pris dans les difficultés de communication avec sa fille, qui doute des valeurs matérielles et qui semble gagné par une nostalgie de la Russie soviétique. Un film clairement associé à la tradition des toiles du Nouvel An, c’est-à-dire des comédies intemporelles. Dans “Je serai près de toi”, on passe à la tragédie lacrymale. Le destin brise la vie d’Inna, jeune mère célibataire, atteinte d’une maladie incurable. Il lui reste peu de temps pour trouver les parents adéquats capables d’adopter son fils. “Récits”, de Mikhaïl Segal, touche au thème de la littérature et à son influence mystérieuse et irrésistible sur la vie de personnages contemporains. Une comédie légère avec un scénario original soulignant les liens étroits entre les Russes et leur littérature. Les grands romans russes n’ont ils pas fortement contribué à modeler ce pays ? Certainement davantage que le cinéma, en tous cas.
 

Dans la catégorie des débuts, la sélection est inégale. “Ils sont tous partis” est l’excellent démarrage dans la fiction d’un réalisateur au nom exceptionnel : Gueorgui Paradjanov. Neveu du génial Sergueï Paradjanov, réalisateur iconoclaste (Chevaux de feu, Couleur de la grenade) et dissident connu dans le monde entier. Gueorgui poursuit sur les traces de son oncle avec une oeuvre originale, métissage arménien et géorgien, recherche des racines, poésie indescriptible et folie toute caucasienne. “Ivan atomique” est une comédie passable visiblement destinée à rassurer le public russe sur l’inocuité de l’énergie nucléaire. “Sa fille”, d’Alexandre Kassatkine et de Natalia Nazarova, est un drame émouvant sur le deuil d’une jeune femme dans la province profonde. Ce film a déjà remarqué et récompensé par la critique, avec un meilleur prix du premier film au festival Kinotavr de Sotchi et un prix de la critique FIPRESCI à Varsovie cette année. Reste à réunir les conditions pour que ce film rencontre un public nombreux hors du circuit honorable mais peu rentable des festivals. Espérons qu’il trouvera un distributeur français courageux à Honfleur !

vendredi 2 novembre 2012

Infidélité (Измена 2012) Un soupire de Bergman *****

Le film devait au départ s'appeler "le châtiment". Mais finalement, l'auteur est revenu à l'essentiel. Bouleversé par un cocufiage, qui l'a placé devant un sombre aspect de l'être humain : son altérité ontologique. Vous aimez et vivez avec quelqu'un pendant 10 ans, et un beau jour, vous découvrez qu'il vous trompe et qu'il n'a pas la moindre intention de le reconnaître, de l'avouer, de s'expliquer ou de s'excuser. Le réalisateur Serebrennikov ne cache pas qu'il a trouvé l'inspiration de ce film (qu'il a co-écrit avec Natalia Nazarova) dans sa vie personnelle.
Tout l'intérêt vient de là. Vous êtes tout d'abord trompé, puis vous trompez vous-même. C'est comme une maladie contagieuse. Certains trompent les autres depuis l'enfance, d'autres y cèdent après en avoir été victime. Le film a perdu son nom de "Châtiment" parce qu'il est devenu évident que la tromperie s'est généralisée à tous les protagonistes. Châtier devient absurde. Pas de morale ici, on observe, on cherche à comprendre et on se résigne. Serebrennikov laisse entendre que le cocufiage auquel il a été confronté dans la vraie vie est lié à l'Internet, et donc aux réseaux de rencontre. Il n'en est pas du tout question dans le film, qui ne se perd pas en "comment" et "pourquoi". C'est la conséquence de la tromperie qui l'intéresse.

L'histoire
Un homme (Dejan Lilic) se rend chez le cardiologue (Franziska Petri) pour une consultation de routine. De manière totalement inattendue et avec une totale froideur, elle lui révèle que son mari à elle la trompe avec son épouse à lui. Secoué, il sort de la clinique et échappe de peu à un terrible accident de la route (un 4x4 percute un abribus et tue 4 piétons. Un quadrilatère amoureux se forme, puis un cube...

Le film repose sur les épaules de Franziska Petri, figure bergmanienne : mystérieuse, puissante mais ravagée de l'intérieur. Son long visage et ses yeux en amande, sa beauté diaphane couplée avec une féminité mûre subjuguent et la caméra et le spectateur. Ses traits ne sont pas ordinaires (ma compagne me chuchotait au début du film "mais qu'elle est laide", avant d'admettre à la moitié du film qu'elle avait finit par la trouver ravissante), ni son jeu bien éloigné des excès devenus la règle dans le cinéma russe. Les autres acteurs sont éclipsés, même si leur travail reste tout à fait honorable.

Pas moyen d'éviter la comparaison avec Elena, de Zvyagintsev. La photographie y ressemble étonnamment, jusque dans le choix des décors. L'objectif était identique : ne pas faire le portrait d'une Russie d'aujourd'hui, mais aller à l'universel. Nous sommes de tout évidence dans un décours russe (architecture soviétique de l'hôtel, goût "nouveau russe" des intérieurs, flics"), mais l'accent n'est pas du tout mis sur la spécificité du pays. C'est la duplicité de l'âme humaine qu'on filme avec des longs plans filmés à l'épaule, en très très gros plan. Serebrennikov ne mégote pas quand il s'agit d'intimité. Un grand soin est apporté aux scènes de sexe, sans hypocrisie ni voyeurisme bêtasse. Il y a aussi un peu de Kubrick dans l'utilisation de la musique et les angles de prise de vue extrêmement soignés.

Le film tranche avec les précédentes oeuvres de Serebrennikov (théâtre comme cinéma). Plus un poil d'humour, guère de fantaisie. Même s'il cache mal ses influences, le nouveau cinéma de Serebrennikov indique une évolution maîtrisée et de formidables capacité à dévoiler l'âme humaine. Du grand cinéma.