S'il est dur d'être Dieu, regarder trois heures du film n'est pas non plus tâche aisée. Ce sont trois heures éprouvantes passées à partager le profond pessimisme de Guerman. Le réalisateur nous plonge dans un décor médiéval hyperréaliste, d'où ressortent une foule de détails pénibles et répugnants. Boue, sang, excréments, pluie, déchets, entrailles occupent la majeure partie de l'écran et du temps. Il est dur d'être Dieu - et spectateur - face à une humanité régressive, tout entière voracement occupée à son autodestruction.
Guerman n'a pas filmé une oeuvre voyeuriste ou macabre. Il a pris un soin extrême aux détails parce qu'il est un perfectionniste de la trempe de Kubrick ou de Bergman. L'objectif est d'éveiller chez le spectateur une réflexion d'ordre philosophique sur la nature de l'homme et d'une série de phénomènes constants dans son histoire : pouvoir, totalitarisme, violence, obscurantisme, imbécilité. Le décor moyenageux est en réalité une limbe intemporelle dont l'humanité est prisonnière. Le moyen-âge existe à l'état latent en chacun de nous. D'où l'horreur d'assister à ce spectacle.
Le film n'indisposera pas le pouvoir actuel, car sa cible est universelle. Il n'y a pas d'allusion directe à la Russie ou à l'URSS, hormis au tout début lorsqu'une voix hors champ caractérise Arkanar (lieu fictif de l'action) comme un territoire ayant tourné le dos à la Renaissance.
Le film est tiré d’un roman
des très prolixes frères Strougatski, qui ont déjà inspiré des adaptations à de grands
réalisateurs comme Tarkovski, Lopouchanski ou Sokourov. Mais Guerman s’écarte significativement de la
perspective humaniste du roman. Au lieu de s’interroger sur le sens moral d’une
intervention de l’homme cultivé moderne dans un conflit médiéval extraterrestre,
Guerman gomme rapidement la différence entre le premier et les seconds. Ecce
homo (ainsi est l’homme), nous dit Guerman, le vernis civilisationnel ne s’écaille
que trop vite. La bête en nous se réveille dès que le pouvoir permet de
transgresser les règles morales.
Déroutant,
unique, tournée en noir et blanc, Dur d'être Dieu ne s'apparente à rien de connu. Il peut évoquer par son message ou sa forme des chefs d'oeuvres comme le Salo de Pier Paolo Pasolini, J’irai comme un cheval fou de Fernando
Arrabal, Aguirre la colère de Dieu de Werner Herzog ou Apocalypse now de Francis
Ford Coppola. C'est probablement le dernier rejeton du cinéma aventureux et risqué des années 70.
Dur d'être Dieu continue à hanter la pensée du spectateur longtemps après la projection. Très longtemps. C'est un film qui marque à jamais son spectateur. C'est pourquoi il est d'ores et déjà un film culte. Une pièce de choix dans la mémoire de tout cinéphile.
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