dimanche 10 février 2013

Vivre (Жить) Sigarev sous le sable ****

Pure Чернуха (noirceur). Tendance qu'ont certains auteurs russes à illustrer les aspects les plus sombres de l'existence de leurs concitoyens. A l'instar de Ma Joie ou de Portrait au crépuscule, La vie est un cauchemar une plontée dans le malheur et le désespoir.

Dans un coin de Russie provinciale, trois individus fragiles sont confrontés, dans trois narrations parallèles, à la mort de leurs proches. Une jeune femme perd l'homme qu'elle vient d'épouser. Il est battu à mort sous ses yeux dans un train de banlieue. Une mère luttant contre alcoolisme perd définitivement ses deux filles jumelles (qui ont été confiées aux services sociaux) dans un accident de la route. Un petit garçon élevée par une mère qui le déteste, apprend que son père est mort. Chacun à sa manière refuse d'accepter la réalité, un peu comme dans "Sous le sable" de François Ozon. Mais nous nous trouvons en Russie, et le deuil n'est pas atténué par des aides psychologiques ou le confort matériel bourgeois. Le deuil est au contraire rendu plus pénible par la rudesse de l'entourage, le dénuement et la laideur de l'environnement.


Sigarev signe avec La vie son second long métrage après Toupie. La structure est plus complexe, la narration mieux maîtrisée, mais le style reste identique. Une profonde sympathie pour des personnages simples aux motivations évidentes, englués dans des situations atroces. Des plans longs, une musique atmosphérique (arpèges balayés à la guitare électrique), des dialogues peu fréquents mais soigneusement écrits (Sigarev est un dramaturge reconnu).

Observateur étranger, je suis confronté à un dilemme : soit je râle contre un cinéma russe obsédé par la noirceur, soit je loue le réalisme sans concession du réalisateur et passe moi-même pour un thuriféraire du "peu patriote" Sigarev. Bien sûr que la Russie dépeinte dans ce film n'est qu'une des réalités russes. Une partie du pays vit dans un univers totalement séparé, dans un confort matériel qui n'a rien à envier à l'Occident. Mais La vie apporte le signe rassurant que les artistes russes n'oublient pas leurs concitoyens restés le cul dans la boue (et ils sont très nombreux). Personne n'accuse les réalisateurs Jacques Audiart ("un Prophète") ou Harmony Korine ("Gummo") de couvrir de boue leur patrie, une accusation qui fuse vite ici dès qu'un auteur explore la Noirceur. Il se trouve que la Noirceur inspire les meilleures oeuvres du cinéma russe depuis vingt ans.

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